THE SERVANT au théâtre de Poche Montparnasse jusqu’au 8 novembre

The Servant Aff

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Quel délice que cette plongée dans l’atmosphère perverse et diabolique d’un intérieur « so british »… En adaptant The servant, de Robin Maugham, Thierry Harcourt prend un malin plaisir à conter ce troublant échange des rôles entre maître et serviteur. Evitant la comparaison avec le film éponyme de Joseph Losey, il signe un huis-clos sombre, drôle, inquiétant et fascinant, à l’issu inattendue. La mise en scène fluide et sobre, les dialogues ciselés et percutants épousent parfaitement le jeu remarquable des cinq comédiens, Maxime d’Aboville et Xavier Lafitte en tête. Pris dans les rets de ce thriller machiavélique et sado-masochiste, on se laisse entraîner avec une certaine délectation dans les profondeurs de l’âme humaine… Jubilatoire !…

L’argument : à Londres, Tony, un jeune aristocrate paresseux, emménage dans une confortable maison de ville; il engage Barrett comme domestique. Ce dernier se révèle être un valet modèle, travailleur et intelligent. Une certaine complicité s’établit peu à peu, mais rapidement, les rôles s’inversent et le maître se retrouve l’esclave de son serviteur.

the_servant_Lafitte_D_Aboville_03_©brigitte_enguerand_@loeildoliv

La critique : à Londres, dans les années 1950, Tony (fabuleux et indolent Xavier Lafitte), jeune aristocrate oisif et désabusé, revient d’un long séjour en Afrique. Après avoir vécu d’expédients, le décès de son père lui permet d’envisager une vie sereine et aisée dans une maison bourgeoise d’un quartier cossu de la capitale anglaise. Il retrouve, à cette occasion, son amour de jeunesse, la très polie et très jolie Sally (pétillante et sensible Alexie Ribes) et son meilleur ami Richard (affable et sérieux Adrien Melin).

A l’instar du jeune homme, on se laisse facilement envelopper par la douceur et le confort de cet intérieur désuet, « so british ». L’atmosphère ouateuse et feutrée est propice à l’abandon et au plaisir. L’arrivée d’un étrange et trop parfait majordome (fantastique et inquiétant Maxime d’Aboville) va bouleverser les codes établis et les équilibres précaires entre les différents protagonistes. Avec son visage fermé et inexpressif, sa démarche hiératique, sa mise impeccable, sans fioriture, le sombre valet instille, dès son apparition, un sentiment désagréable de rejet. Pourtant, le crédule et lymphatique Tony va se laisser prendre aux très bonnes références de ce dernier, malgré les mises en garde de ses amis.

The-Servant-2015_©Brigitte-Enguerand_Xavier-Lafitte_Adrien-Melin_@loeildoliv

Imperceptiblement et insidieusement, le vernis craque, les masques se fissurent, l’idyllique tableau s’assombrit et l’atmosphère devient pesante. Les rapports évoluent dangereusement. Les premiers mensonges viennent altérer les relations, avant de les détruire. L’alcool embrume les esprits et tout particulièrement celui du propriétaire des lieux. Un climat de vice et de manipulation s’installe, entraînant une dérive inquiétante des rôles qui ira jusqu’à leur inversion, le maître cédant toute autorité au soumis qui prend l’entier contrôle de la maisonnée et de ses habitants. Au fil des scènes, l’ambiguïté des rapports se fait jour. Entre abandon et désir de l’autre, Tony glisse dans une exquise et suave torpeur qui l’amène progressivement à perdre personnalité et identité. Epris tout à la fois de son valet et des femmes de ce dernier (grivoise et piquante Juliette Petiot), qu’elles soient fausse cousine ou amoureuse patentée, le jeune aristocrate finit par se complaire dans une servitude qui lui devient vitale, perdant pied avec la réalité. Sclérosé par la dureté quasi bestiale de Barett, il s’éloigne dangereusement du reste de l’humanité.

the_servant_theatre_poche_Montparnasse_42_©brigitte_enguerandBIS_@loeildoliv

Hypnotisé par la force et la violence de ce huis-clos aux faux accents de thriller surréaliste et acide, on se laisse porter par les notes jazzy de la bande son et par le décor « cosy » de cet intérieur très « années 1950 ». La sobre et élégante mise en scène de Thierry Harcourt nous emmitoufle dans une chaleureuse et confortable atmosphère pour mieux manipuler nos réactions et nos émotions. Le texte incisif, le style efficace et vif, les répliques tranchantes, donnent à l’ensemble une rythmique soutenue qui empêche le temps de la réflexion. Piégé comme Tony, on se laisse prendre avec complaisance, voire bienveillance, à ce jeu malsain. En conservant l’humour très britannique de la pièce originale, Thierry Harcourt et Laurent Sillant offrent bouffée d’oxygène et de légèreté à cette oppressante fable.

Séduit par la singulière atmosphère de cette pièce, conquis par l’impeccable jeu des comédiens, troublé par l’ambivalence des liens sexuels et amoureux, on ressort enchanté, bouleversé… Un spectacle à ne pas manquer !…

Olivier

Retrouvez toutes les chroniques d’Olivier sur son blog, L’Oeil d’Olivier, où il nous parle de théâtre, de cinéma, d’expos; où il nous fait partager ses rencontres privilégiées et où il expose ses photographies… http://www.loeildolivier.fr/

de Robin Maugham
Théâtre de Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi à 19h, dimanche 17h30
durée 1h30

Traduction de Laurent Sillant
Mise en scène Thierry Harcourt assisté de Stéphanie Froeliger
Avec Maxime D’aboville – Roxane Bret en alternance avec Juliette Petiot – Xavier Laffite – Adrien Melin – Alexie Ribes
Lumières Jacques Rouveyrollis – assisté de Jessica Duclos
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Décor de Sophie Jacob
Production Théâtre de Poche-Montparnasse

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